Bonjour Mathieu, pourriez-vous vous présenter à mes lecteurs qui ne vous connaissent pas encore ?
Bonjour, je m’appelle Mathieu MANENT, je suis joueur, collectionneur, mais aussi gérant de mon propre commerce, où je vends des jeux vidéo de ma collection personnelle. J’ai également été rédacteur sur quelques sites Web, dont gameweb.fr. J’étais chargé de publier des informations et j’y ai aussi rédigé des tests, des aperçus, des dossiers, etc. “Nintendo 64 Anthologie” est ma première expérience en tant qu’auteur !
Pourquoi, plus de dix-sept ans après sa sortie en France, avoir décidé de raconter l’histoire de la Nintendo 64 ?
La question serait plutôt : “Pourquoi ne pas l’avoir fait avant ?” J’ai trouvé étonnant que jusqu’ici, aucun ouvrage n’ait été consacré à cette machine. Il n’était pourtant pas nécessaire d’attendre si longtemps pour prendre du recul et tirer un bilan de la N64 ! Comme il s’agit de ma console de prédilection, j’ai voulu simplement partager mes connaissances. Son image controversée ayant divisé les joueurs (alors que ses aînées, la NES et la Super Nintendo, avaient rassemblé presque tout le monde) constituait aussi un sujet intéressant. J’ai voulu l’approfondir, en chercher les causes et comprendre pourquoi certains joueurs la méprisaient, alors que d’autres l’avaient érigée au rang de console culte. Mais, avant tout, ce sont les jeux que je voulais mettre en avant : quelques-uns sont devenus mythiques mais beaucoup d’autres, pourtant excellents, sont tombés dans l’oubli. Ici, l’intégralité de la logithèque N64 est testée et détaillée ! Il ne s’agit donc pas d’un simple listing destiné uniquement aux collectionneurs : les joueurs nostalgiques qui possèdent encore la console ou les curieux qui ont décidé de s’en offrir une d’occasion peuvent donc se fier à ces tests, rédigés de la manière la plus objective possible.
Avez-vous obtenu la collaboration de Nintendo France pour l’élaboration de “Nintendo 64 Anthologie” ?
J’ai fait appel à quelques personnes ayant travaillé chez Nintendo France à la fin des années 1990, notamment Patrick Lavanant, l’ancien directeur général. Son témoignage a permis de mieux comprendre le retard de la N64 en France (six mois après le reste de l’Europe à l’époque !). Cependant, je n’ai pas collaboré avec les personnes actuellement en place chez Nintendo France.
Avec le recul, pensez-vous vraiment que le choix du support cartouche fut une erreur ?
Sans aucun doute. Il existait trop d’inconvénients et trop peu d’avantages. Pour les joueurs et les développeurs. D’ailleurs, dans mon livre, je cite certains développeurs de l’époque et les avis sont unanimes : la cartouche possédait trop de contraintes. Pour moi, sortir la Nintendo 64 avec un support CD aurait aussi été une erreur ! Cela signifiait des temps de chargement intempestifs, une console plus chère, et c’était la porte ouverte au piratage… Non, le support idéal pour la N64 aurait dû être le fameux disque magnéto-optique du 64DD, le périphérique fantôme tant attendu, mais jamais sorti en Occident. Le plus incompréhensible, c’est que Nintendo ait annoncé cette extension avant même la sortie de la console standard, alors que, techniquement, il était possible d’intégrer ce lecteur “de base”… Avec une N64 équipée directement d’un lecteur de disques optiques, le destin de la console aurait été tout autre. Final Fantasy sur Nintendo 64, par exemple, aurait pu être une réalité !
Quels auront été, à vos yeux, les jeux les plus marquants de la N64 ?
Évidemment, ce sont toujours les mêmes noms qui reviennent : GoldenEye 007, Mario Kart 64, Super Mario 64, Banjo-Kazooie et surtout The Legend of Zelda : Ocarina of Time ! Il faut noter que de nombreux hits, parmi les meilleurs jeux de la console même, sont apparus à partir de l’an 2000 et ont moins marqué les joueurs en raison de leur sortie tardive, face à la concurrence émergente de la Next Gen (la Dreamcast et la PlayStation 2). Parmi les jeux Nintendo 64 qui m’ont le plus marqué, je nommerais (outre les jeux cités plus haut) Lylat Wars, The Legend of Zelda Majora’s Mask, Perfect Dark, Conker’s Bad Fur Day, 1080° Snowboarding et surtout le fabuleux Jet Force Gemini, ainsi que Wave Race 64, qui m’avait carrément fait acheter la console ! De plus, j’ai adoré plusieurs jeux d’éditeurs tiers, comme Rayman 2, Shadow Man, Turok 2, Tony Hawk’s Pro Skater et le premier Extreme-G. Les Star Wars Rogue Squadron et Episode I Racer étaient excellents aussi !
Parlons de Rare. Pouvons-nous attribuer le sauvetage commercial de la N64 à leurs jeux exceptionnels ?
Pas au Japon. Mais en Occident, il est évident que, sans Rare, les ventes de Nintendo 64 auraient eu bien du mal à redécoller, un an après sa sortie. GoldenEye 007 a popularisé le FPS en multijoueur sur console à un point tel qu’il a marqué une génération entière. Un remake est même paru sur Wii, PS3 et Xbox 360 il y a quelques années : bien peu de FPS des années 1990 ont eu ce privilège ! La puissance commerciale du nom “GoldenEye” prouve bien que son impact auprès des joueurs de l’époque résonne encore aujourd’hui.
Sa sortie à l’automne 1997 a permis à la Nintendo 64 de bien se vendre auprès d’un public d’adolescents, jusqu’ici plutôt séduits par la PlayStation, sur la période des fêtes de Noël – période durant laquelle les ventes de N64 étaient au meilleur de leur forme. Quant à Banjo-Kazooie, il a marqué les joueurs, non seulement parce qu’il était le seul rival digne de Super Mario 64 à sa sortie, mais aussi parce qu’il est apparu pendant une période très creuse de la console… Là encore, Rare a certainement sauvé la Nintendo 64.
Le destin de cet éditeur n’est-il pas finalement une tragédie grecque, pour Nintendo, Microsoft et Rare lui-même ?
Pour Microsoft et Rare sans doute, mais certainement pas pour Nintendo. Si ce dernier avait conservé ce studio pour développer des exclusivités GameCube, on aurait pu parler de tragédie pour les joueurs ! Car il faut savoir que, entre 1995 et 2001, plusieurs personnes-clés de Rare ont quitté la société : des programmeurs, un compositeur, et même le producteur de GoldenEye 007, Martin Hollis ! Celui-ci nous livre d’ailleurs plusieurs anecdotes et secrets dans une interview exclusive dans “Nintendo 64 Anthologie”, et nous a même fourni des documents préparatoires inédits de la création de GoldenEye 007. Plusieurs talents avaient donc déjà quitté le studio britannique et forcément, cela risquait de se répercuter sur la qualité globale de leurs jeux. Après les hits d’exception signés Rare sur N64, les joueurs auraient placé tant d’espoirs envers le studio que la déception aurait été immense ! Imaginez la GameCube ne proposant comme exclusivités (hors jeux Nintendo) que des titres Rareware, beaucoup moins réussis ou marquants que sur la génération précédente… Finalement, c’est la première Xbox qui a hérité de ces jeux après le rachat de Rare, considéré dès lors comme une “coquille vide” au nom prestigieux. Côté Microsoft, que ce soient Grabbed by the Ghoulies, Kameo ou Perfect Dark Zero, aucun n’a laissé son empreinte dans l’histoire du jeu vidéo, contrairement aux précédentes productions de Rare sur N64 – et même sur SNES, avec Donkey Kong Country et Killer Instinct. Pour sa part, Nintendo n’a perdu que les fameuses licences de Rare dans l’histoire, et l’argent de sa transaction avec Microsoft a permis à la firme nippone de financer des studios plus modestes tels que Retro Studio et Silicon Knights, qui ont réalisé respectivement Metroid Prime et Eternal Darkness : deux des jeux les plus marquants de la GameCube.
Comble de l’ironie, c’est Retro Studios qui reprend, plus de quinze ans après Rare, la licence Donkey Kong Country avec deux épisodes sur Wii et Wii U exceptionnels ! Et pendant ce temps, chez Microsoft, Rare ne propose que Kinect Sports… Pour Nintendo, c’était difficile à admettre à l’époque, mais aujourd’hui, il faut bien le reconnaître, les joueurs ont largement gagné au change !
Quel est aujourd’hui l’héritage de la N64 chez Nintendo ? Iwata, par sa politique aberrante, n’a-t-il pas tué définitivement l’esprit d’excellence de cette console ?
Depuis dix-sept ans, le principal héritage de la N64, pour Nintendo, c’est son esprit de convivialité. Le multijoueur. N’oublions pas que la N64, en plus d’avoir été la première machine à proposer quatre ports manettes, a été la console sur laquelle ont débuté des séries devenues cultes comme Mario Party ou Super Smash Bros, dans lesquelles le multijoueur se trouve au cœur même du gameplay ! Des séries qui ont fait les beaux jours de la GameCube et aussi de la Wii, la console conviviale par excellence.
Quant à Satoru Iwata, plutôt que sa politique, c’est sa communication qui est aberrante. Fondamentalement, la politique de Nintendo n’a pas changé : expérimenter de nouvelles manières de jouer, mettre en avant le multijoueur et miser sur ses licences phares pour s’assurer un minimum de ventes (Super Mario et les Pokémon en tête). Mais sur le plan de la communication, c’est catastrophique.
Par exemple, lors de l’annonce de la Wii U, en ne présentant que la manette avec ce nom, Nintendo s’est tiré une balle dans le pied : personne n’a compris qu’il s’agissait d’une nouvelle console ! Tout le monde a cru à une tablette compatible avec la Wii et, au vu du tarif pratiqué pour un “simple accessoire”, il était évident que les ventes seraient décevantes. Mais je ne doute pas que la situation changera d’ici à la fin de l’année…
Quel serait votre mot de la fin aux lecteurs de stars-media.fr ?
J’espère que mon livre vous plaira ! Si vous êtes fan ou nostalgique de la Nintendo 64, vous devriez retrouver avec plaisir ses meilleurs jeux et vivre (ou revivre) son histoire surprenante. Quant aux éternels détracteurs de la console, je ne peux que les encourager eux aussi à se procurer cet ouvrage, car ils y verront bien des facettes de la machine qu’ils ignoraient peut-être, et y découvriront certains jeux N64 (parfois issus de la PlayStation) dont ils ne soupçonnaient même pas l’existence !
Propos recueillis par Laurent Amar
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